Le Nutri-Score, un code couleur qui fait débat
Le Nutri-Score : cinq lettres et une palette de couleurs qu’on retrouve aujourd’hui presque partout sur les emballages alimentaires. Instauré pour guider les consommateurs vers des choix plus sains, cet étiquetage nutritionnel simplifié promet de nous aider à distinguer, en un clin d’œil, l’aliment « plutôt bon » de celui « à consommer avec modération ». Mais que se passe-t-il lorsque la science se heurte à la tradition ? L’huile d’olive, véritable totem du régime méditerranéen, se retrouve ainsi affublée d’un Nutri-Score « C ». Légitime ? Injuste ? Nuancé. On vous explique.
Comprendre le Nutri-Score : principes et équilibres
Le Nutri-Score repose sur un algorithme mis au point par un groupe d’experts de santé publique, à la demande de l’État français. Il évalue globalement la qualité nutritionnelle d’un aliment solide ou liquide, sur la base de 100 grammes ou millilitres. Il prend en compte :
- les éléments dits « défavorables » : calories, acides gras saturés, sucre, sel ;
- et les éléments « favorables » : fibres, protéines, et la présence de fruits, légumes, légumineuses, fruits à coque, huiles réputées bénéfiques (colza, noix, olive).
Chaque produit reçoit un score global, puis une lettre de A (meilleure qualité nutritionnelle) à E (moins recommandable), couplée à une couleur du vert foncé au rouge.
L’objectif n’est pas de diaboliser les aliments classés « D » ou « E », mais de comparer entre eux des produits appartenant à la même famille. Or, c’est en sortant de ces comparaisons intra-catégorielles que les ennuis commencent.
Quand l’huile d’olive obtient un « C » : malentendu ou réalité objective ?
Huile d’olive extra-vierge, extractée à froid, non raffiné… et pourtant, dans le panier du nutritionniste algorithmique, elle écopera d’un simple « C ». Ni verte fluo, ni rouge écarlate : une position médiane. Mais comment ce joyau du bassin méditerranéen, célébré depuis l’Antiquité pour ses bienfaits, peut-il ne pas être classé A ?
L’explication est moins absurde qu’il n’y paraît. Le Nutri-Score ne juge pas de la qualité absolue d’un aliment, mais de sa densité nutritionnelle par rapport à sa teneur énergétique. L’huile d’olive, aussi noble soit-elle, reste une matière grasse à forte densité calorique (près de 900 kcal/100g). Elle contient certes de bons acides gras mono-insaturés, mais peu de protéines, fibres ou autres nutriments « favorables » entrant dans le calcul.
Mais faut-il pour autant s’en méfier ? Tout dépend du contexte.
Le paradoxe méditerranéen en bouteille
Les populations du pourtour méditerranéen illustrent un fascinant paradoxe : leur régime alimentaire, riche en légumes, céréales complètes… et en huile d’olive, est associé à un risque réduit de maladies cardiovasculaires. Tout n’est donc pas qu’affaire de calories ou d’acides gras saturés.
Ce que ne capture pas le Nutri-Score, c’est cette dimension culinaire et socioculturelle : la cuillerée d’huile d’olive versée sur une salade de tomates, le filet subtil dans une poêlée de légumes de saison, ou le mariage sensoriel avec une tranche de pain grillé. L’usage est modéré et intégré à un tout.
La sagesse du régime méditerranéen, c’est de ne jamais considérer un ingrédient seul, mais de le penser dans son ensemble, avec équilibre, variété et convivialité.
Pourquoi l’huile d’olive ne peut pas être comparée à une pizza
Une erreur d’interprétation fréquente consiste à aligner les produits porteurs du même Nutri-Score comme équivalents nutritionnels. Ainsi, certains s’indignent de voir une pizza industrielle obtenir un score « B » quand l’huile d’olive est reléguée au rang « C ».
N’oublions pas que le Nutri-Score compare des catégories de produits similaires. Il ne dit pas que cette pizza est “meilleure” que l’huile d’olive, mais qu’elle est relativement mieux équilibrée que d’autres pizzas. C’est là toute la subtilité – et la limite – de l’outil.
Les matières grasses (beurre, margarines, huiles) ont été analysées dans une même classe, mais avec des ajustements. Depuis 2021, des experts européens ont recommandé d’intégrer dans le calcul de nouveaux paramètres spécifiques aux huiles à haute valeur nutritionnelle, dont nous reparlerons plus bas.
Réajustement en cours : vers un Nutri-Score plus nuancé pour les huiles
Conscient des critiques – émanant tant de nutritionnistes que de filières agricoles – le comité scientifique du Nutri-Score a récemment proposé une révision de ses critères, notamment pour certaines catégories sensibles, comme les huiles végétales.
Le nouveau modèle 2023, progressivement en cours de mise en œuvre à l’échelle européenne, revalorise davantage les apports en acides gras insaturés. Résultat : l’huile d’olive pourrait désormais afficher un Nutri-Score B dans certaines configurations. Un petit pas pour l’étiquette, un grand pour l’intelligence nutritionnelle.
Cette évolution tient compte des nombreuses études validant l’effet protecteur des matières grasses d’origine végétale, en particulier dans une alimentation modérée et équilibrée. Voilà de quoi réconcilier la modernité de l’algorithme et la sagesse des terroirs.
Des implications économiques pour les producteurs
Au-delà de la nutrition, se cache une réalité business. L’étiquette Nutri-Score a un impact direct en linéaire : les produits « A » et « B » gagnent en attractivité, tandis que les classés « D » ou « E » peuvent pâtir d’un désamour du consommateur (parfois injustifié).
Pour les producteurs d’huile d’olive, notamment en Espagne, en Italie, en Grèce et même en France (Provence, Corse, Occitanie…), cette classification a été reçue comme une gifle. Le spectre d’une perte de parts de marché face à des huiles plus industrialisées, mais mieux notées, a provoqué une levée de boucliers.
Face à ces enjeux, certaines coopératives ont engagé des campagnes d’information, tandis que d’autres ont tenté d’obtenir des labels complémentaires mettant en avant les vertus spécifiques de leur huile. Car oui, toutes les huiles d’olive ne se valent pas – entre un nectar pressé à froid bio et une huile raffinée, le fossé est réel. Pourtant le Nutri-Score ne fait pas encore cette distinction.
Consommer intelligemment : trois clés pour intégrer l’huile d’olive
Faut-il arrêter l’huile d’olive parce qu’elle est « C » ? La réponse est évidente : non. Mais mieux vaut la consommer avec discernement. Voici trois repères simples :
- Favorisez les versions extra-vierges : elles conservent mieux les polyphénols, antioxydants naturels bénéfiques pour la santé.
- Utilisez-la en cru : pour maximiser sa richesse aromatique et préserver ses propriétés, un usage à froid (salades, légumes grillés) reste idéal.
- Dosage raisonnable : une à deux cuillères à soupe par jour peuvent suffire, dans le cadre d’une alimentation équilibrée.
Vers un futur d’étiquetage plus intelligent ?
Le débat autour de l’huile d’olive révèle, en filigrane, la nécessité de perfectionner nos outils d’évaluation. Le Nutri-Score, certes perfectible, a néanmoins le mérite de simplifier l’accès à une information complexe. Mais il doit aujourd’hui continuer à évoluer, pour mieux intégrer la qualité des ingrédients, la transformation des produits, et l’usage réel dans l’assiette.
Et si, au lieu de condamner un outil parce qu’il ne dit pas tout, on apprenait à dialoguer avec lui ? En croisant des indicateurs – Nutri-Score, labels de qualité, certifications bio, origine – nous pourrions bâtir une relation plus éclairée avec notre alimentation.
L’huile d’olive, dans cette équation, reste une alliée inestimable. Non pas pour sa couleur sur une étiquette, mais pour ce qu’elle incarne : un lien vivant entre générosité de la terre, savoir-faire des hommes et plaisir d’un repas partagé.
Entre algorithmes et intuitions, le chemin vers une alimentation durable se tisse ainsi, cuillère après cuillère, comme un filet d’huile doré sur une tranche de vie.